Une fresque de Land Art au Pays du Reblochon

En 2018, à l’occasion de l’anniversaire des 60 ans de l’AOP Reblochon et du passage du Tour de France dans le massif des Aravis, le Syndicat interprofessionnel du Reblochon a commandé à l’artiste SAYPE une fresque géante sur herbe. S’inscrivant dans le mouvement du land art (une forme d’art qui consiste à utiliser un cadre et des matériaux naturels), cette œuvre d’art éphémère a marqué les esprits : elle était un véritable hommage au fromage Reblochon mais aussi aux hommes et aux femmes qui ont, chaque jour, à cœur de maintenir un certain savoir-faire et la valorisation de ce terroir unique. Cette fresque, comme les autres créations de ce genre de l’artiste, s’est, par la suite, estompée avec la repousse de l’herbe avant de disparaître complètement et naturellement.

Retour sur la genèse de ce projet et la portée qu’il a pu avoir avec Christophe Berthelot, alors salarié de l’Association des Fromages de Savoie et chargé de mission pour les 60 ans de l’AOP Reblochon.

fresque reblochon montagne
fresque reblochon

Une fresque de plus de 3 000 m2 pour valoriser la filière du Reblochon

Réalisée dans la descente du Col de la Croix Fry, l’œuvre représente le portrait en buste d’une femme tenant dans sa main droite un Reblochon dont il manque un morceau, que l’on retrouve dans son autre main. Le modèle n’a pas été choisi au hasard puisqu’il s’agit de Virginie Avettand, une productrice de Reblochon fermier installée à Serraval. À côté de cette figure, on peut lire en lettres blanches cernées de noir : “Au Pays du Reblochon”.

Peinte par SAYPE, cette fresque dispose de dimensions hors normes : plus de 3 000 m2 (60 x 50 mètres). L’artiste l’a réalisée directement sur l’herbe à partir d’une peinture entièrement biodégradable (constituée d’huile de lin, d’eau et de farines mélangées à des pigments naturels).

Qui est SAYPE et pourquoi avoir fait appel à cet artiste ?

Ce choix de format monumental a été fait pour que l’œuvre puisse être vue par les millions de téléspectateurs de la grande boucle (Le Tour de France est diffusé dans plus de 190 pays).

Christophe Berthelot : “Le projet est issu d’une année un peu particulière pour le Reblochon puisqu’il s’agissait de l’anniversaire des 60 ans de son AOP (Appellation d’Origine Protégée). À cette occasion, on voulait valoriser le plus possible le Reblochon. Or, il s’est avéré que le Tour de France passait dans la zone historique du Reblochon, au cœur de la zone de production du Reblochon fermier, avec ses alpages et ses vaches Abondances. Pour nous, cela avait du sens et il était nécessaire de marquer le coup car le Tour de France a une très grande visibilité.

Personnellement, je suis très intéressé par l’art urbain, l’art contemporain et les expressions artistiques de terrain, et j’avais pris connaissance des travaux de SAYPE dans Graffiti Art Magazine. J’avais trouvé ses travaux très intéressants et remplis de sens.

Il a une approche basée sur l’humain, sur l’humain dans son environnement avec un message porteur d’avenir. Ça m’a paru pertinent de le mobiliser sur cette filière Reblochon. Sur laquelle, on peut, certes, s’arrêter sur le produit mais qui dispose aussi de valeurs fortes. L’objectif de cette AOP, c’est de protéger un patrimoine, un terroir et les savoir-faire qui y sont associés ; derrière le produit, il y a des hommes, un territoire spécifique et des métiers qui y ont été développés. Je trouvais que faire le lien entre l’approche de SAYPE et ce que l’on souhaitait valoriser au travers d’une œuvre avait du sens”.

 

SAYPE est un jeune artiste originaire de Belfort qui vit désormais en Suisse. Pionnier de la peinture sur herbe, qu’il voit comme un lien entre le street art et le land art, il n’utilise que des pigments respectueux de l’environnement et des produits biodégradables (blanc de meudon, caséine, huile de lin, charbon…). Son art a aujourd’hui une résonance internationale et comporte une dimension sociale, sociétale voire politique : l’artiste l’écrit lui-même sur son site, il souhaite “impacter les mentalités, sans impacter la nature”.

Comment avez-vous choisi le sujet ?

Christophe Berthelot : “J’ai contacté SAYPE, on a échangé sur le projet et sur le sens que l’on souhaitait lui donner. Ce qui nous paraissait vraiment intéressant, c’est le fait que l’on pouvait associer les trois points cardinaux de l’AOP Reblochon, à savoir le produit, les hommes et le territoire sur lequel le fromage est fabriqué. C’est comme cela que le projet a émergé : l’objectif était de peindre un opérateur, membre de la filière, qui présente de façon un peu passionnée, du moins bienveillante, le produit en faisant le lien avec l’herbe sur laquelle est faite l’œuvre. Le dessin est né ainsi : en discutant avec l’artiste. Il avait lui aussi ses idées et était assez réceptif aux valeurs que l’on souhaitait défendre”.

 

L’œuvre n’est pas une commande à proprement parler, Christophe Berthelot revient sur cette notion d’échanges :

Christophe Berthelot : “Nous lui avons expliqué ce que nous souhaitions promouvoir. À partir de ces indications, il nous a demandé un temps de réflexion et nous a proposé une posture qui est celle qui a finalement été réalisée. C’est-à-dire, un peu en contre-plongée, à la manière de la peinture hollandaise du XVIIe siècle. Je trouve la posture belle car elle donne à voir le regard bienveillant d’une productrice qui regarde son produit, qui prend soin de ce fromage, avec une belle ligne de fuite du regard”. 

Le choix d’une femme comme ambassadrice de la filière du fromage savoyard n’est pas dû au hasard ; il s’agit même d’une véritable volonté. Selon Christophe Berthelot, ce portrait illustre le dynamisme de la filière Reblochon, qui permet d’installer des jeunes sur ce territoire de montagne et qui traduit la forte présence des femmes pendant tout le processus de fabrication du fromage : de la production de lait jusqu’à la fabrication et l’affinage du Reblochon. Le modèle, Virginie Avettand, donne toute sa puissance au projet :

Christophe Berthelot : “Toute la force de l’œuvre vient dans le fait que l’on ait choisi une productrice pour représenter la filière. On ne voulait pas prendre un modèle qui n’appartenait pas à la filière, il nous tenait à cœur d’en valoriser un. Or, on avait la productrice parfaite puisqu’elle est membre du Syndicat Interprofessionnel du Reblochon, jeune, dynamique et, qui plus est, était vraiment enthousiasmée à l’idée de poser pour cette œuvre. Ça faisait sens de mettre en valeur une vraie productrice actuelle. Ce n’était pas une opération de communication en tant que telle : notre objectif était de mettre en lumière le Reblochon et ses valeurs (le produit bien sûr, mais aussi la transparence et la valorisation des membres de la filière).

On a fait une session photo avec un collaborateur de SAYPE. La photographie choisie a ensuite été retravaillée sur un logiciel. Le but est de choisir des plages de couleurs pour passer au noir et blanc. Il y a une approche très technique”.

La symbolique de ce portrait de productrice

Cette œuvre de land art, qui plus est éphémère, souligne les liens étroits existants entre le Reblochon, les agriculteurs et le milieu naturel. Elle forme un tout. Lorsque l’on regarde la fresque un peu plus attentivement, on se rend compte que le regard de la jeune femme n’est pas seulement tourné vers le fromage à pastille verte ou rouge, mais aussi vers le sol, vers la terre : source de la matière première nécessaire à la fabrication du Reblochon. Il en est de même du cadre dans lequel la fresque prenait place (un champ d’herbe où les vaches ont l’habitude de paître) mais aussi de la technique utilisée : 

Christophe Berthelot : “SAYPE utilise la caséine comme fixateur de couleur, or les pastilles vertes et rouges marquant le Reblochon sont faites en caséine ; durant la réalisation de la fresque, on se rendait compte de l’existence de liens entre la filière fromagère et l’aspect technique de création de l’oeuvre”. Il ajoute : “L’approche de l’artiste est liée aux conditions climatiques et elle fait le lien avec l’activité quotidienne des producteurs qui sont eux aussi en proie avec elles. Il y avait plein de parallèles à faire entre la production de Reblochon et celle d’une œuvre de land art. D’ailleurs, c’est pour cela que SAYPE n’a pas hésité longtemps à accepter ce projet. On a réussi à mettre en place une collaboration qui a été réussie à tous points de vue.”

portrait productrice

Comment la réalisation de la fresque s’est-elle déroulée ?

Une à deux semaines avant l’arrivée de l’artiste, son équipe, composée de trois personnes, est intervenue. Elle a tracé la mise au carreau de la future œuvre monumentale à l’aide d’un piquetage. Cette technique, utilisée depuis l’Antiquité, est indispensable pour la réalisation d’une grande peinture car elle permet à l’artiste de respecter les proportions en décomposant les formes et les tracés en petites sections (en effet l’artiste n’a pas le recul nécessaire pour voir la progression de l’œuvre durant sa réalisation). Le dessin original est lui aussi marqué de ces lignes perpendiculaires de la même manière. Il suffit ensuite à l’artiste de repérer les lignes principales de chaque carreau par rapport à ses bords.

Pour peindre sur l’herbe, SAYPE a lui-même inventé sa technique. Il peint en “wireless” : une sorte de gros pinceau utilisé par les peintres en bâtiment. Durant la réalisation de l’œuvre, l’équipe de l’artiste utilise un drone afin de s’assurer de la bonne progression des travaux et pour corriger les éventuelles erreurs. Christophe Berthelot, ayant assisté à la réalisation de la fresque, insiste sur la minutie des détails pour une œuvre aussi gigantesque : “Il arrive à un niveau de détails avec les jeux d’ombre, sur la peau, sur la main, que je trouve fabuleux. Il maitrise parfaitement son outil de création qu’est le pistolet”.

La fresque de SAYPE était-elle accessible au public ? Comment avez-vous choisi la parcelle ?

Christophe Berthelot : “Le champ était ouvert. Mais la difficulté de ce type d’œuvre c’est qu’elle n’est visible correctement que depuis quelques points de vue. Elle était visible depuis la route mais pas sous le bon angle.

En outre, la difficulté préalable était de trouver l’endroit adéquat pour installer l’œuvre. Nous avions déjà effectué un repérage assez conséquent avec une collègue qui connaissait bien les lieux. C’était un travail préalable que l’équipe de SAYPE nous avait laissé réaliser. On nous avait donné une sorte de cahier des charges à respecter. Nous avons échangé avec l’équipe technique de l’artiste après avoir sélectionné plusieurs champs pouvant remplir toutes les conditions. En effet, il y avait plusieurs paramètres à prendre en compte : la proximité par rapport au passage du Tour de France, l’accessibilité de la parcelle, l’accord du producteur, l’homogénéité du terrain… Les contraintes portaient aussi sur la hauteur de l’herbe : on avait demandé au producteur de faucher le pré et j’ai même assuré le nettoyage après”.

Quel impact cette œuvre a-t-elle eu ?

L’oeuvre s’est vue pendant environ un mois et a depuis complètement disparu : seules les photographies et les vidéos qui en ont été faites peuvent témoigner de son existence. Elle n’a pas laissé d’impact dans son milieu, si ce n’est dans les esprits, et témoigne de cette volonté de respect de l’environnement et du terroir :

Christophe Berthelot : “Pour nous, cette œuvre avait deux objectifs : une valorisation externe mais aussi une communication interne. Le but était de valoriser les membres de la filière et de les mettre à l’honneur pour qu’ils se sentent fiers d’appartenir à la filière et qu’ils se sentent représentés. On est sur des filières collectives où les membres sont volontaires pour adhérer. Comme tout collectif, il faut à un moment donné redonner de la fierté et travailler sur son identité.

On a eu de très bons retours sur le côté magistral de l’œuvre et sa réalisation. Cela a été valorisé dans le cadre d’une soirée organisée pour les 60 ans du Reblochon. On a diffusé un film qui a bien été accueilli. Il y a eu beaucoup de vues sur YouTube, d’articles dans les journaux mais aussi de promotion dans les Offices de Tourisme. L’œuvre a été filmée durant le passage du Tour de France.

De plus, nous nous étions inscrit au challenge “Les Agriculteurs aiment le Tour” organisé en partenariat entre la FNSEA et le Tour de France et nous avons reçu un prix spécial qui nous a été remis au Salon de l’Agriculture à Paris. Les organisateurs du Tour avaient été subjugués par la fresque. La productrice était montée à Paris pour recevoir le prix”.

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